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dimanche 28 juin 2015

Critique Musicale: Tiki Black - Out Of The Black (2013)

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De Paris à Manchester en passant par Douala : Esquisse d’un parcours

L’auteure-compositrice-interprète franco-camerounaise Tiki Black voit le jour à Paris. Dotée d’une « double-culture », le voyage et le mouvement constitueront l’une des premières matrices créatrices de cette artiste en devenir, la jeune fille se déplaçant fréquemment, multipliant allers et retours entre Vieille Europe et Afrique. Des conditions conduisant très tôt Tiki Black à l’autonomie personnelle et à développer et cultiver un attrait certain pour la musique. En effet, si la jeune fille, qui a notamment passé son enfance dans le port de Douala, n’a pas de réel point de chute, la musique, elle, constituera ce précieux point d’encrage lui manquant peut être dans un premier temps, apportant du même coup à sa vie la cohérence nécessaire[1].

De ces années passées dans la capitale économique du Cameroun, Tiki garde en mémoire nombre de découvertes musicales l’ayant autant marqué qu’inspiré. Parmi celles-ci citons les musiques d’Amérique du Nord et latine ou celles d’artistes camerounais tels Eboa Lotin ou Manu Dibango. Le cinéma ne la laissant pas non plus insensible, elle s’intéressera également aux films indiens, produits par Bollywood, qu’elle découvre en fréquentant les salles obscures de la ville[2].

A l’âge de quatorze ans, alors scolarisée dans une école parisienne, elle découvre le piano. L’histoire veut que son étude pianistique commença à l’initiative d’une de ses amies, cette dernière lui ayant offert un livre d’enseignement musical. L’une des premières œuvres pour piano qu’elle découvrit ensuite et étudia fut celle du compositeur franco-polonais Fréderic Chopin. Parmi les artistes l’ayant influencé jusqu’à aujourd’hui citons Chopin donc mais aussi Eboa Lotin, Manu Dibango , Charles Aznavour, Bob Marley, Georges Brassens, Queen, Dolly Parton, Haendel, Georges Moustaki, Fiona Apple, Karine Polwart, Michael Jackson, Herbert Groenmeyer, Alanis Morrissette, Scott Walker, Elvis Costello, Terry Hall ou encore  Tori Amos. Des artistes aux styles divers, multiples, témoignant d’un gout immodéré et surtout d’une richesse culturelle certaine. Très attachée à la force des mots et la portée des textes de nombre de ces auteurs, la demoiselle n’hésite pas non plus à les traduire personnellement[3].

L’activité de chanteuse, auteure et compositrice débuta réellement pour Tiki Black en 2006, époque où l’artiste compose ses premiers morceaux et ébauche ses premiers textes. La même année Tiki Black crée et anime, entourée d’une petite équipe, le site web World Singers Songwriters avec pour objectif de mettre en lumière les textes et œuvres d’ auteurs de chansons, célèbres, reconnus ou non, d’époques et de genres différents à travers le monde[4] et de rendre hommage à tout auteur l’ayant inspiré[5].

Premier évènement marquant pour Tiki Black et annonciateur d’un début de carrière dans le monde de la musique : sa place de finaliste du « John Lennon Songwriting Contest 2009 Session I », décrochée en septembre 2009. Cette première récompense personnelle permettra à celle qui est désormais résidente à Manchester de commencer à se produire sur scène plus intensément et majoritairement sur le territoire britannique. 

Tiki se fait donc progressivement remarquer  et entame ainsi, dès janvier 2011, la conception et la réalisation de ce qui deviendra son premier projet musical. Deux ans environ seront nécessaires à l’artiste pour accoucher d’Out Of The Black, effort discographique publié par le label No Sugar Added Records, sorti officiellement le 16 juillet 2013. Cette œuvre est décrite par son auteure elle-même comme un album thématique ayant pour épicentre la création et la créativité personnelle servant à exorciser nos peines et peurs diverses.

Se vouant à la création musicale, la jeune femme n’en néglige pas moins les diverses opportunités s’offrant à elle. C’est ainsi que Tiki Black se lance, en fevrier 2013,  dans l’aventure radiophonique, devenant productrice et animatrice bénévole de l’émission « I Write The Song », diffusée sur les ondes de la radio anglaise Canalside’s The Thread 102.8fm[6]. L’émission « I Write The Song » propose à ses auditeurs de découvrir des musiques et genres musicaux du monde entier, de toutes époques, de découvrir de nouveaux talents et propose  également des focus sur les songwriters, si chers à Tiki Black.
Auteure, compositrice, interprète, productrice, animatrice Tiki Black à plus d’une corde à son arc, une supplémentaire viendra s’y ajouter en à la fin de l’année 2014. En novembre dernier Tiki entame une nouvelle collaboration, avec cette fois un titre en ligne, VertiKal Life Magazine[7], journal pour lequel elle endosse le rôle de « Creative Director ».

Nonobstant ses différentes activités, Tiki Black ne néglige point l’élaboration de son second album à paraitre et poursuit actuellement la promotion d’Out Of The Black, album sur lequel nous allons maintenant nous pencher plus en détails.

Out Of The Black : lumière tamisée

Conçu entre janvier 2011 et juillet 2013, l’album Out Of The Black fut enregistré et mixé aux Cottonmouth Studios de Manchester par Chris Hamilton, ce dernier partageant avec Tiki Black la casquette de producteur sur ce disque. Le mastering est lui l’œuvre d’Éric James et s’est déroulé dans l’enceinte du studio Philosopher Barn Mastering, situé dans le district de North Norfolk.

Out Of The Black voit se côtoyer en son sein relativement peu de musiciens. En effet, Tiki Black, à qui l’on doit textes et musiques, qui assure l’ensemble des vocaux et des chœurs ainsi qu’une partie de piano sur l’un des dix titres que compte l’album, est ici accompagnée et secondée par sept personnes au total. On retrouve ainsi : John Ellis, pianiste sur neuf titres, le djembefola Sidiki Dembele, le bassiste Matt Owens, Chris Hamilton aux percussions enfin Rachel Shakespeare, Michael Christopher Calvert et Niko Paterakis se sont eux chargés des lignes de violoncelle et des différents arrangements. Fait remarquable, aucune six cordes n’est présente sur cet album !

L’album Out Of The Black renferme un son de qualité dont la production et les divers arrangements mettent avant tout en valeur les éléments constituant la matrice musicale de cet ensemble : la voix de Tiki Black et le piano. Pour ce faire, le choix judicieux du minimalisme, de l’essentiel fut opéré. Les titres ne souffrent nullement de surproduction, inutile d’y chercher la note de trop, tout juste sont –ils souvent et joliment agrémentés de percussions et de cordes assez légères et aériennes. Une production minimaliste, propre, carrée et peaufinée, sans prétention ni esbroufe, certes très lisse mais que ne dépare pas une certaine finesse et qui confère à l’ensemble de cette collection de chanson son homogénéité sonore.

La voix de Tiki Black, dont on devine aisément toute la puissance et l’étendue, œuvre dans un registre empreint de nuance et sensibilité, aucune démonstration vocale éhontée et abusive de sa part, la jeune femme évite les poncifs des chanteuses dites « à voix »,  sa performance tout au long du disque n’en est que plus agréable et appréciable. Des prestations vocales réussies se lovant parfaitement dans chacun des dix écrins musicaux, taillés pour mettre celles-ci, ainsi que les textes les accompagnants, en valeur.

 Les textes font indéniablement la part belle à l’interception, aux émotions et au ressenti. De cet ensemble se dégage une mélancolie certaine, les mots révèlent les maux… Si Tiki fait, à première vue, part de son expérience personnelle, elle le fait en réussissant à  exploiter des thèmes et sentiments d’ordre fédérateur et universel, tels la peur et la peine, par exemple. Ainsi aucun auditeur ne restera au bord du chemin et cette découverte se verra accompagnée par l’ambiance musicale très intimiste du disque et l’impression de douceur s’en dégageant. Sur ce point, Tiki déclare :

« Si ma musique commence à partir de mon expérience personnelle, elle tire des leçons plus universelles en regardant des situations et des émotions semblables à travers le temps et de par le monde. »[8]

L’opus s’ouvre sur le titre Free Like Smoke, une composition révélant et mettant d’entrer en valeur ce qui constituera le fondement, voire l’essence, de chacun des neuf autres titres : la prédominance du piano et de la voix, toujours parfaitement mise en avant. Le titre débute sur un gimmick de clavier, à la fois simple et accrocheur, sur lequel se plaque d’entrée la voix d’une Tiki Black dont l’émotion semble immédiatement perceptible. Une basse à la ligne ronde et simple ainsi qu’un violoncelle viendront orner cet ensemble vers la moitié du titre, se voyant ensuite pourvu d’un gimmick de percussion minimaliste et de quelques chœurs. Une entrée en matière réussie qui donne d’emblée le ton général de l’opus et qui se verra commercialisée en single au cours de l’année 2014[9]. Sur cette version simple Tiki est accompagnée par la musicienne est chanteuse anglaise Jo Bywater, cette dernière signant pour l’occasion un travail sur les harmonies, les arrangements et les lignes de guitares. Une version toute aussi réussie et ne déparant en rien la version originale se trouvant sur cet album.

Atmosphère similaire et chant du même acabit sur Listen, le second titre. Le morceau est entamé par un intéressant gimmick de piano que vient vite souligner la basse. Les cordes se joignent à l’ensemble avant que les cordes au son cristallin du nkoni[10] ne se fassent remarquer.

C’est par une introduction jouée conjointement par le piano et la basse que débute Swollen, sur laquelle se plaque la voix de Tiki Black. Les percussions et cordes apportant ensuite à ce titre un aspect quelque peu mouvant.

L’éponyme Out Of  The Black arrive ensuite et nous propose  un motif pianistique légèrement plus enlevé que précédemment, que vient ponctuer la lourdeur d’une basse pourtant assez discrète sur cette composition. Une certaine tension est perceptible sur ce morceau, tension que soulignent joliment violoncelle, nkoni et percussions. Tiki propose ici une prestation vocale aux accents empreint de gravité.

Escape, le titre suivant, et dernier simple en date, est pourvu d’une entame de piano et de basse sur laquelle l’instrument à corde délivre une ligne  légèrement plus massive et martiale que précédemment et qui semble, même indirectement, traduire cette envie d’échappée. Une impression soulignée à propos par l’ornement de violoncelle, percussion et quelques chœurs.

Etna se signale par une introduction jouée au piano des plus cristallines qui s’écoule sur toute la durée du morceau, soit 3 minutes et 33 secondes. Un titre en piano/voix, véritable concentré d’émotion, touchant et allant à l’essentiel. Assurément  l’une des plus belles pièces du disque.

C’est par une introduction de basse et de piano que débute Le Cinquieme Element (The Fith Element), septième titre de l’opus et seul à être chanté dans la langue de Molière. Un choix plutôt osé à l’écoute de la musique proposée par Black, celle-ci puissant de manière très évidente son inspiration dans des genres tels la Soul, le Blues ou le Rythm ’n’ Blues. Des genres musicaux pouvant, à première vue, difficilement se concilier avec la langue française. Toutefois, l’on constate rapidement que le pari est relevé et plutôt joliment, le texte français ne déparant en rien, tant dans sa forme que dans son contenu, les autres textes de l’album tous écrits en anglais. Musicalement, ce morceau bénéficie de jolis ornements délivrés par le violoncelle et une basse relativement discrète.

Powder Masks est, comme l’ensemble des titres de cet album, pourvu d’une agréable introduction de laquelle se détache irrémédiablement le piano, la basse, bien qu’audible à l’entame, demeurant mixée en retrait. Il n’en va bien sûr pas de même pour la voix, toujours aussi présente, elle, et mise en valeur.

 Le titre Silence (No More) s’articule prioritairement autour d’un gimmick de piano mais se voit pourvu d’une ligne de basse plutôt légère et tout de même plus expressive que sur nombre d’autres titres du disque, ceci demeurant toutefois singulièrement épuré et sobre, car jamais pas n’est pris sur le clavier ou la voix.

La chanson Open Your Eyes constitue la dixième et dernière étape de notre itinéraire parcouru aux cotés de Tiki Black. Une conclusion d’album sur un morceau interprété avec pour seul accompagnement le piano. Un écrin minimaliste renforçant l’interprétation « habitée » de cette jeune artiste. Une coda certainement à l’image de l’interprète, de son œuvre en tout cas, gorgée de simplicité et d’émotion. On remarque que le texte de ce titre constitue certainement un écho, une réponse à celui de Free Like Smoke, pièce ouvrant l’opus :

Close your eyes/ Pretend that nothing happened/ And believe that thus Truth will hide/ Close your mind/Pretend that you’re ignorant/ And believe that thusyou escape the martyr’s side.

Free Like Smoke

Open your eyes/ To the shining sunand the blue skies/ Open your eyes/ Have a bite of the moon/ O word do not hide in your cocoon.

Open Your Eyes

Une ultime invitation à ouvrir les yeux, contempler ciel et soleil, comme pour mieux nous convaincre que nous sommes, au bout de trente-neuf minutes, bel est bien « Out Of The Black »…

« When pain hits
I hold my breath so she thinks me dead
Or better yet, I express myself Out Of The Black.

This album is that release…
Tiki

*****
Avec Out Of The Black Tiki Black signe un premier effort discographique de qualité, au son très épuré, à la production et aux arrangements minimalistes, accordant la primauté à la voix ainsi qu’aux différents textes, tous œuvres de cette jeune auteure, lovés dans des écrins musicaux les mettant joliment en valeur. Ce dégage de ce recueil de chansons sans prétention beaucoup d’émotion, une certaine mélancolie laissant deviner un réel degré d’introspection. L’ensemble est à la fois sobre, intense, maitrisé et porté par une voix suave et touchante.
Un disque auquel les moins réceptifs reprocheront peut être une trop grande homogénéité, une très forte similitude structurelle des compositions ou un manque d’audace dans le choix des arrangements musicaux mais telle était la volonté de l’artiste et l’on ne peut lui en tenir grief. De tout cela se dégagent honnêteté et authenticité.
Peut-être le second album, actuellement en cours d’écriture et de composition, proposera-t-il une évolution musicale sensible. Out Of The Black a quant à lui déjà séduit, tant le public que la critique et s’est vu auréolé de deux Awards : celui de « Best Folk/Singer Songwriter Album », remis  en novembre 2013 par l’Akademia Awards ainsi que celui  de finaliste dans la catégorie du « Best Debut Album » lors des Fatea Awards 2013.
 Plus de deux ans après sa sortie, la promotion d’Out Of The Black n’est pas achevée, en effet, cet été,  ce sont Les Pays-Bas qui accueilleront Tiki Black pour une série de concerts[11].
En attendant la parution du second opus, nous pouvons sans problème jeter une oreille (voire les deux…) à ce travail tout à fait recommandable !

Liste des titres :
1.      Free Like Smoke
2.      Listen
3.      Swollen
4.      Out Of The Black
5.      Escape
6.      Etna
7.      Le Cinquieme Element (The Fifth Element)
8.      Powder Masks
9.      Silence (No More)
10.  Open Your Eyes

Tiki Black, Out Of The Black, No Sugar Added Records, 2013.

Xavier Fluet@GazetteDeParis

Publié le : 28/06/2015 par La Gazette De Paris.


 Tiki Black Feature- Photo 1




[1] Site internet de l’artiste, section « Biographie ». Page consultée le 20/06/15. Lien : http://tikiblack.com/biographie/?lang=fr
[2]  Ibid.
[3]  Id.
[4]  Site web World Singers Songwriters. Page consultée le 20/06/15. Lien : http://www.worldsingersongwriters.com/
[5] Ibid. Section « The WSS-Team ». Page consultée le 20/06/15. Lien : http://www.worldsingersongwriters.com/the-wss-team/ 
[6]  Site Web de Canalside’s The Thread 102.8fm à l’adresse suivante : http://www.thethread.org.uk/canalsides-the-thread-1028fm
[7] Site Web de VertiKal Life Magazine à l’adresse suivante : http://www.vertikallifemagazine.com/index.php/en/
[8] Cf. Note 1
[9] Free Like Smoke, Tiki Black feat. Jo Bywater, No Sugar Added, 2014.
[10] Le nkoni est un luth africain, généralement pourvu de quatre cordes, occupant une place de choix au sein de la musique classique et traditionnelle mandingue. Source : Chants et Histoire du Mandé, section « cordophones traditionnels mandingues » Page consultée le 27/06/15. Lien : http://chantshistoiremande.free.fr/Html/cordo1.php
 Les Mandés (ou Mandinka, Mandingues) sont un peuple d'Afrique de l'Ouest. Source : « Mandingues », Wikipédia.org. Page consultée le 27/06/15. Lien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mandingues
[11] Cf. Note 1. Section « Musique ». Page consultée le 28/06/15. Lien : http://tikiblack.com/?lang=fr

mardi 19 mai 2015

lundi 18 mai 2015

Critique Musicale: Little Girl - Little Girl (E.P.) - 2015

LG Front

Avant Little Girl : parcours et itinéraires divers

Il y a moins de deux ans, en juin 2013, nous vous proposions de découvrir La Reine Noire[1], premier E.P. autoproduit, renfermant trois titres, signé d’un artiste au parcours plutôt singulier, à la fois riche et atypique. Luc Santiago, sous le pseudonyme de MonnCCat, venait à l’époque de faire paraitre la première concrétisation discographique de son nouveau projet artistique et musical. Projet aux facettes multiples au sein duquel s’additionnent et s’harmonisent principalement Rock des années 60 et 70, chanson, littérature, poésie, photographie, spleen, romantisme et absinthe pour nous donner à entendre une musique jouée sur un mode clair-obscur, au accents saturniens et gorgée d’images quelque peu tourmentées. L’ensemble dépeignait un univers des plus personnels ne manquant ni d’attrait ni d’intérêt pour qui, le temps d’une écoute, accepterait d’y pénétrer.

Le bref communiqué de presse annonçant la sortie de ce premier maxi décrivait la musique proposée par MoonCCat comme étant une évocation tintée de Rock, Folk noire et mélancolique aux influences Post-Punk crépusculaire, mélangeant les univers et les styles d’artistes aussi divers que Nick Cave, Alain Bashung, les Doors ou Joy Division[2]. Une intéressante mise en perspective du programme que nous réservait cet Extended Play.

La Reine Noire contient des titres tous chantés en français, décrits comme recélant des textes à la fois percutants et poétiques, se plaçant dans la lignée de ceux écrits par des auteurs comme Edgar Allan Poe, Arthur Rimbaud ou Charles Baudelaire[3].

Ecouter La Reine Noire assurait de découvrir une musique résolument sombre et mélancolique puisant ses racines dans un univers où mélancolie, gothique et romantisme se conjuguent et se répondent. Les images ainsi évoquées demeurent marquantes, cinématographiques presque…
 Une invitation à découvrir le parcours de cet artiste aux talents multiples et à la personnalité déjà très affirmée.

En effet, le projet MoonCCat puise son origine dans l’indéniable attrait qu’aura su cultivé Luc Santiago pour la littérature et, plus généralement, les arts du XIXème siècle. L’adolescent d’alors est particulièrement séduit par les écrits des poètes maudits qui ont traversé et marqué cette époque. La vocation de poète naitra chez lui grâce à nombre de découvertes littéraires qui ne pouvaient le laisser insensible et le marqueront, tel le fer rouge, à jamais. Parmi ces écrits citons, entre autres, ceux d’Isidore Ducasse, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Alfred Dubus, Tristan Corbière, Germain Nouveau, Joséphin Soulary, Maurice Rollinat ou bien encore Charles Cros[4].

Luc revendique aussi l’influence des arts picturaux, certains de ses textes pouvant naitre de l’influence qu’ont sur lui des tableaux de Johann Heinrich Füssli, Jean Delville, Ramon Casas, Alphonse Mucha, John Everett Millais, Gustav Klimt, Leonor Fini, Félicien Rops, Carlos Schwabe ou Gaspar David Friedrich. MoonCCat ne négligeant jamais de mettre en avant l’importante part de son travail consacrée à la photographie argentique[5].

 Enfin le Septième Art, notamment à travers les réalisations de Marcel Carné, Jean Delanoy et autre Jean Cocteau, trône également en bonne place parmi ses nombreuses sources d’inspiration.
En plus de la littérature et de l’écriture de poèmes, de nouvelles et d’un roman, c’est le théâtre qui, plusieurs années durant, occupera le jeune homme. Il créera même une revue littéraire toute entière consacrée aux écrivains qualifiés de « maudits », en quelque sorte, ses paires. Elle paraitra sous le nom de Revue du Chat Noir. S’en suivront quelques années cette fois consacrées au journalisme qui aboutiront à l’ouverture d’une boutique dédiée elle à une autre des grandes passions de MoonCCat, à savoir celle que beaucoup qualifient de « Fée verte », de « troisième œil du poète » : l’absinthe[6].

La quarantaine approchant, MoonCCat choisi finalement un retour à ses première amours : l’écriture, fortement influencée par celle des poètes maudits donc, et la musique. Un choix lui permettant également d’exploiter son savoir-faire de multi-instrumentiste. Ayant une mainmise  certaine tant sur son art que sur son projet, l’homme écrit, chante, compose et s’illustre seul au piano, à la basse, la guitare, la batterie et aux percussions sur chacun de ses titres[7]. Trois de ceux-ci : Western Fatal, Dans Les Limbes et le titre éponyme figureront donc sur le premier EP du félidé.

 La Reine Noire sortie, MoonCCat apparaitra en toute fin d’année 2013, le temps d’une chanson, sur la compilation Ave Atque Vale. Produit par Le label indépendant Seventh Crow Records, ce disque de Rock Alternatif/Ambiant se compose de dix-sept morceaux dus à treize artistes ou groupes différents. La composition retenue pour l’occasion se nomme Silly Games[8].

Un premier opus longue durée, devant s’appeler Mirroirs Des Nuits Tragiques, est à paraitre le 1er juin prochain. Succédant ainsi à La Reine Noire, l’œuvre se verra pressée à quelque cent exemplaires dont douze avec livret imprimé sur papier vergé, relié cousu main, comprenant paroles, illustrations et anecdotes[9].

 Enfin, signalons que l’artiste vient récemment de mettre la dernière main au pendant strictement littéraire de son album, un premier recueil de poème du même nom dont les pages livreront sonnets et alexandrins. Reste à son auteur de trouver un éditeur…[10]

Ecrivain, poète, photographe, journaliste, boutiquier, musicien et chanteur, Luc Santiago à décidément plus d’une corde à son arc artistique. Celui-ci s’en verra agrémenté d’une supplémentaire lorsque, un jour de 2013, Luc croise le guitariste Alain Roussennac.

Ensemble, les deux musiciens bâtiront un nouveau projet musical : un groupe, du nom de Little Girl.
Comme tout jeune projet, Little Girl connaitra une importante phase de « consolidation », le groupe faisant, dans un premier temps, face à divers changement en son sein. Stabilisée depuis environ un an, la formation parisienne se présente désormais en quatuor. Le batteur Fabien Dannic et le bassiste-claviériste Pascal Isabellon ayant rejoint Roussennac et Santiago[11].

A l’image de son chanteur, chaque membre actuel de Little Girl s’est précédemment illustré au sein de différents projets musicaux. Ainsi, Alain Roussennac a œuvré dans le groupe Rock parisien 18 Brumaire.

 Originellement fondé en 1981, 18 Brumaire, sous l’impulsion de nouveaux membres, reviendra aux affaires en mars 2007. D’anciennes compositions sont ainsi exhumées et retravaillées, complétées bien sûr par de nouveaux titres, enrichissant un répertoire proposant reprises et titres originaux. Les premiers concerts s’enchainent ensuite et le rythme des prestations s’intensifie l’année suivante. Une première démo deux titres paraitra au mois de novembre 2008 et sera écoulée lors de divers concerts parisiens donnés lors du premier semestre 2009. 18 Brumaire assure seul l’organisation de ses concerts de l’époque, n’hésitant pas non plus à partager la scène avec divers groupes, français comme étrangers. C’est en novembre 2009 qu’est paru Cash For CLUNKERS, son premier L.P. onze titres[12].

Avant le Rock éprouvé par Little Girl, la matrice musicale explorée par Pascal Isabellon et sa basse fut celle du Blues originel, l’homme ayant joué au sein du groupe Men In Blues. Quintet de passionnés, la musique jouée par cette formation propose la redécouverte d’œuvres d’artistes tels : BB King, Jimi Hendrix, Chuck Berry Keith Richards, Buddy Guy, Johnny Winter, Clapton, Stevie Ray Vaughan, Albert Colins ou Lucky Peterson…

Fabien Dannic, lui, s’est retrouvé derrière les futs de groupes comme Mellaphone ou, plus récemment, Kavign.

Quatuor au son Pop/Folk parsemé d’effluves Jazz,  Kavign voit le jour en 1994 et entre en scène deux ans plus tard, le 21 juin 1996 pour la fête de la musique, à Paris (XIII). S’en suivra l’enregistrement d’une première démo,  la tournée des bars parisiens et  quelques passages sur les ondes de petites radios locales essonniennes. En 1998 est publié The Music Of Chance, leur premier album. Une sortie qui, à l’époque,  ne laissera pas insensible le magazine Best.

Les années passent. Au sein de Kavign départs et arrivées se succèdent entrainant une réorientation musicale du groupe, plus Rock cette fois. Austerities succèdera à The Music Of Chance en 2003. 2005 voit la parution d’un E.P. contenant 6 titres. Il faut attendre 2013 pour voir Kavign rendre disponible The Book Of Illusions, son troisième effort discographique, à la réalisation duquel prend part Fabien Dannic, actuel batteur de Little Girl. Fabien quittera toutefois Kavign en juin 2014.[13]

Depuis sa formation le quatuor s’aguerrit également sur scène et s’y produit, au minimum, une fois par mois. Parmi les concerts les plus marquants de ce début de carrière, citons une soirée passée au Cavern Club à Paris, en février dernier. Revenant sur cette performance, Luc Santiago écrira :

« Excellent concert. Nous y allions avec un peu d'à priori car techniquement, nous devions brancher nos instruments en ligne, sans ampli. […] Et puis ... la magie a opéré. Lâchés dans nos compos, nous avons séduit un public qui ne nous connaissait pas. L'énergie, la motivation, le "feeling" a fait le reste. Tous les membres du groupe se sont laissé emporter par la musique, fauchant les spectateurs au passage. Des couples ont dansé sur "White Cow-Boy" à mon grand étonnement […] Les sourires étaient comme figés sur les visages lors des applaudissements... Pour un groupe, c'est précieux ! Cela n'arrive pas toujours. Quant à moi, je ne me suis jamais senti aussi bien après un Concert (oui avec un C), probablement le partage et le ressenti ... […] Alors forcément, comme l'on était un peu méfiants, nous n'avions prévu aucune captation. Ce concert restera donc dans les cœurs du groupe. […][14]. »

Little Girl : seize minutes, 4 titres

Selon le communiqué de presse, Little Girl et sa musique se définissent comme suit :

« Le style musical du groupe parisien Little Girl évoque le rock anglo-saxon des années 1970 à 1980 grâce à un chant émotif et puissant, une guitare garage de 1968, une basse au rythme endiablé et une batterie sauvage et imprévisible. Quatre instruments : un son singulier. »[15]

Les textes des chansons sont présentés comme mélodiques et narrant d’étranges histoires, se déliant dans un écrin musical décrit à la fois comme puissamment Rock et mélodieux.
Parmi les diverses influences reconnues et pleinement assumées par chacun des quatre musiciens, citons celles de groupes tels The Doors, The Stranglers, The Clash, The Cramps, The Velvet Underground ou encore The Gun Club.

C’est dans l’enceinte du Studio Poptones que furent intégralement enregistrés et mixés les quatre titres garnissant ce premier effort discographique, aux paroles et musiques cosignées par l’ensemble du groupe.

La pochette, parée d’une couleur dégageant à première vue une étonnante chaleur, porteuse en cela d’un contraste singulier et réussi d’avec la musique, porte la griffe de MoonCCat.

 L’E.P. éponyme de Little Girl, paru le 25 avril dernier, renferme une production très « propre », « carrée », que l’on devine aisément très travaillée et peaufinée, sans pour autant que l’ensemble ne souffre d’un  quelconque défaut de  surproduction ou ne paraisse trop « lisse ». Aucun des quatre principaux éléments de ce son (chant, guitare, basse  et batterie) ne se voit ici négligé ou mis trop en avant au détriment d’un autre. Tous demeurent parfaitement audibles et concurrent ainsi à parer l’ensemble d’une homogénéité certaine. On appréciera, par exemple, d’être en mesure de distinguer pareillement, et ce dès les premières écoutes, riffs de guitares et autres lignes de basses, élément témoignant d’une certaine finesse apportée à l’ensemble du travail de postproduction réalisé ici.

Little Girl, le titre éponyme connait une entame assez directe, pourvue d’une très accrocheuse ligne de basse, que vient vite souligner un motif de guitare plus « léger ». La batterie assure à l’ensemble un rythme soutenu mais ne demeure nullement envahissante. Le chant semble mixé bien en avant et rappellera sans problème à l’auditeur quelque une des déclamations vocales de Nick Cave ou autre James Douglas Morrison. Plus discret, un gimmick joué aux claviers se joindra finalement à l’ensemble. Le milieu du morceau laisse découvrir une bonne intervention conjointe de la guitare et de la basse. Le texte de cette chanson évoque la visite nocturne rendue à son épouse par un mari décédé dans le but de lui témoigner son amour. Une scène extraordinaire que n’aurait certainement pas reniée un auteur comme Edgar Allan Poe…

Une ambiance néo-western, dansante est faussement festive, et ensuite à l’honneur sur White Cow-Boy, la piste suivante. La basse et la batterie assurent une rythmique « carrée » et impeccable. La guitare elle délivre un gimmick à la fois simple et accrocheur. Le chant de Luc est bien plus enlevé que précédemment, presque enjoué. Un titre dont la relative brièveté concoure à l’efficacité.  Les paroles évoquent cette fois le sort d’un homme qui, pour avoir vengé sa femme, se voit condamné et tué par une foule vengeresse.

C’est sur un excellent riff de six cordes, suppléé par une rythmique du même acabit, que débute le titre William Bond. La basse se veut très en verve sur ce mid-tempo résolument Rock, pourvu, toutefois, d’accents faussement Pop. La guitare, toujours elle nous offre une bonne intervention dans la seconde moitié du titre. Un moment convaincant pour ce qui constitue certainement l’une des plus belles réussites de ce disque. Une composition portée par la réécriture, due à la plume de Luc Santiago, d’un poème éponyme de William Blake et abordant le thème de la sagesse et du difficile apprentissage l’accompagnant.

Au sujet de ce titre, semblant lui être particulièrement cher, Luc confiera :

« J'apprécie particulièrement l'interprétation de ce titre avec mon groupe Little Girl.
Lorsque j'ai découvert le poème de William Blake, je suis immédiatement tombé sous le charme de ce texte dévastateur : un homme triste, malade, malheureux, mais entouré d'anges, de bonnes fées et d'amantes qui veillent sur lui, sur son malheur...
Des visions oniriques de situations et de décors, des rimes pures et pleines de sagesse, une morale à la William Blake... Difficile de ne pas résister. Je me souviens, c'était Place des Vosges. Je m'étais installé avec mon recueil avant une répétition et la mélodie de la chanson est venue toute seule à la lecture, comme soufflée par quelqu'un d'autre. Un instant magique.
Nous l'avons travaillée avec le groupe et le titre s'est construit naturellement.
Mon seul regret : lorsque je parle de William Blake durant les concerts, personne ne semble savoir de qui il s'agit. Heureusement, le titre plaît et j'espère que quelque part, même si j'ai adapté son poème épique aux dimensions d'une simple chanson, un poète est heureux. »[16]

Sins, le quatrième et dernier titre, se signale, entre autres, par la présence en son sein d’un bon riff de guitare et d’un gimmick de batterie très martial. La basse apporte de son groove linéaire à cet ensemble et y occupe, de fait, une place non négligeable. Le texte de Sins se veut porteur d’un double sens et évoque les atermoiements d’un homme souffrant de mélancolie.  

He went not out to the field nor fold,
He went not out to the village nor town,
But he came home in a black, black cloud,
And took to his bed, and there lay down.

William Blake, The Pickering Manuscript.,  William Bond[17]

*****

Avec Little Girl, le quatuor du même nom offre un premier aperçu de son répertoire aux matrices multiples, à la croisée des chemins entre Rock et Poésie, revendiquant et assumant avec force et aplomb ses diverses influences pour mieux convoquer et ressusciter, le temps de quelques titres, ce que le Rock des années 60 et 70 a pu offrir de plus innovant et attrayant. Les amateurs du genre ne seront guère déçus et sauront assurement y trouver leur compte. Il n’y a ici ni esbroufe ni tromperie sur la marchandise, le tout étant de plus très bien réalisé.

Les plus curieux pourraient simplement se laisser séduire tant par la musique que par la force des mots l’accompagnant. Toute œuvre étant une porte d’entrée sur un univers quel qu’il soit, il leur appartient d’accepter de la pousser pour y pénétrer…

Un E.P. de qualité, prologue à, souhaitons-le, un premier album longue durée du même acabit. Little Girl est disponible en physique et sur les plateformes suivantes : Itunes, VirginMega, Fnacmusic, OVI, RealNetworks, Musiwave, eMusic, Music Net, Medianet, Rhapsody, VidZone, Deezer, Amazon.com, 7Digital, Spotify, Beezik, Simfy.com, RDIO, Google Play Music, Aspiro Music.
 Nous reste désormais à attendre un prochain album au son de ce maxi…

Liste des titres:

1.      Little Girl
2.      White Cow-Boy
3.      William Bond
4.      Sins

Little Girl, Little Girl (E.P.), LG Records, 2015.

Xavier Fluet 

Source: La Gazette De Paris

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[1] MoonCCat, La Reine Noire, autoproduit, 2013.
[2] Communiqué de presse accompagnant La Reine Noire.
[3] Ibid.
[4] Site internet de MonnCCat, section « Influences ». Lien : http://www.moonccat.com/influences.html
[5] Sur le travail photographique de Luc Santiago, voire le site internet de MonnCCat, section « Photos». Lien : http://www.moonccat.com/photos.html  et l’adresse suivante :   http://www.moonccat-photo.com/
[6]Xavier Fluet, « Moonccat – La Reine Noire – EP », La Gazette De Paris, 05/06/2013. Lien : http://gazetteparis.fr/2013/06/05/critique-musicale-moonccat-la-reine-noire-ep-2013/
[7] Site internet de MonnCCat, section « Musique». Lien : http://www.moonccat.com/musique.html
[8]Ave Atque Vale, Seventh Crow Records, Decembre 2013. Lien : http://seventhcrowrecords.bandcamp.com/album/ave-atque-vale#
[9] Site internet de MonnCCat, section « News». 08/05/2015.  Lien : http://www.moonccat.com/news
[10] Ibid. News du 26/04/2015.
[11] Communiqué de presse de L’E.P.
[12]  « 18 Brumaire », Le Lab. Des Inrocks. Page consultée le 11/05/15. Lien : http://www.lesinrocks.com/lesinrockslab/artistes/18-brumaire/
[13] « Kavign », Zik Me Up. Page consultée le 11/05/15. Lien : http://www.zicmeup.com/groupe/kavign/ 
[14]  Cf. Note 9. News du  21/02/15.
[15] Cf. Note 11.
[16] Cf. Note 9. News du  21/02/15.
[17] William Blake, The Pickering MS. William Bond[17]. Lien : http://www.bartleby.com/235/141.html