Genèse
et mystère d’un projet
« Peu
importe d’où je viens…Les réponses sont dans les œuvres. »[1]
Cette première phrase, extraite
du communiqué de presse accompagnant la version promotionnelle de l’EP
Smile(s), pourrait d’emblée couper l’herbe sous le pied à qui tenterait de
coucher sur le papier les quelques grandes étapes ayant conduit à la formation
du groupe Fragile et à la réalisation de ce premier maxi cinq titres. En effet,
si la musique de Fragile se découvre désormais grâce à Smile(s), retracer son
parcours, en situer la genèse n’est, de prime abord, point aisé.
Basé à Bordeaux,
Fragile ne se laisse pas accoler la simple, et parfois réductrice, étiquette de
« groupe », se définissant plus volontiers comme projet musical et
participatif fruit de nombreuses et diverses collaborations porté par deux
musiciens : Mathieu Pittet et David Dupuy[2].
David lui-même, ne pouvant que rester évasif sur ce point, n’hésite pas à faire
remonter la genèse de ce qui sera plus tard connu sous le nom de Fragile à son
enfance, à cette époque des premières ébauches textuelles tapées à l’aide de la
machine à écrire maternelle et de la mise en musique de celles-ci avec le
concours d’un camarade guitariste[3].
Dans une entrevue avec
Luc Dehon pour le magazine Idolesmag, publiée le 2 juin 2014, David confie que
les premières véritables brides tangibles du projet datent surtout de début
2000, date des premières répétitions et maquettes, sans toutefois ni expérience
scénique ni professionnalisme. Fragile se résumait alors à des mots couchés sur
le papier. Sous sa forme actuelle le projet voit le jour entre 2008 et 2009[4], avant que quelques maquettes ne puissent être
découverte sur le web en 2012, via Bandcamp.
L’adjectif fragile
semble s’être imposé presque par hasard aux musiciens. Ceux- ci, n’ayant à un
moment donné aucun nom réellement adéquat pour leur projet, en vinrent à
choisir ce qui, à l’origine, était le nom d’une de leur composition[5]. Sur le sens à conférer à ce nom choisi, David
déclarais récemment dans nos colonnes :
« Fragile
est une réponse à l’insensibilité du monde qui nous entoure, tous les jours, il
est l’acceptation de choses que l’on se refuse de voir ou d’entendre et par ce
fait permet de passer des étapes supérieures. Je le vois plus comme un combat
vers une certaine « liberté. »
Musicalement
il y a une partie ou l’on peut assimiler les arrangements a quelque chose de
délicat peut-être, mais le contraire est aussi vrai avec des titres plus bruts
et directs. Il y a de l’ambivalence comme dans beaucoup de choses, il y a de la
force, surtout sur scène il me semble. »[6].
Smile(s) :
Débuts d’un projet aux facettes multiples
Smile(s), premier EP de Fragile, disponible depuis le 26 mai dernier,
et dont la version « Long Box », avec livret et traductions de
textes, sera disponible le 9 juin, renferme le travail de sept musiciens. David
Dupuy et Mathieu Pittet sont ici accompagnés de Clément Peyronnet, Robert
Johnson et trois musiciens travaillant ou ayant travaillés, entre autres, avec
le chanteur Cali : Julien Lebart, Blaise Margali et Nicolas Puisais[7].
L’enregistrement, dut à Fred Norget, Julien Lebart et Fragile a eu
lieu « aux quatre coins du Sud-Ouest », le mixage et lui l’œuvre
de Joe Barresi, qui s’est entre autres
illustré sur des productions du groupe Queen Of The Stone Age, dans l’enceinte
du Studio JHOC à Los Angeles en Californie et c’est enfin à Bordeaux, au studio
Globe Audio, qu’Alexis Bardinet s’est chargé du mastering du disque.
Lors de notre entretien, David Dupuy est revenu sur ces sessions
d’enregistrement, l’approche de ce travail en studio et sur les différences
d’approche musicale pouvant exister entre France et Etats-Unis. Il déclare
ainsi :
« Les sessions de recording se sont
faîtes avec Fred Norguet ainsi que Julien Lebart dans différents studios, à
Perpignan et à Bordeaux. Toutes les méthodes sont bonnes à prendre même si il
n’y a pas non plus un son qui tombe du ciel subitement, c’est à dire que, par
exemple, pour les guitares, nous avons enregistré dans de très bonnes
conditions dans une très belle cabine avec du gros matériel de studio. Il s’est
révélé que nous n’étions pas satisfaits du son qui manquait de présence et qui
n’était pas fidèle à ce qui sortait de nos amplis et de ce que l’on imaginait.
Nous avons décidé de refaire toutes les guitares à la maison, dans notre local
de répétition et dans une salle de concert ou nous avons des amis qui nous ont
ouvert leurs portes. Nous avions deux fois moins de moyens et au final les
prises sonnaient comme nous voulions, plus brutes et fidèles à notre vision de
départ.
Pour moi il n’y a pas vraiment de conception
différente sinon je crois que nous n’aurions pas pu mixer à Los Angeles, de
plus vous remarquerez que le chant Anglais n’est pas travaillé pour ressembler
à un Anglophone mais bien assumé avec un accent français pour garder la
cohérence des deux langues dans la couleur du disque.
Il y a je pense, plus, une vision du son
différente, un savoir-faire, et chaque pays et ingénieur du son à sa patte, sa
valeur ajoutée dans un projet, ce qui lui permet de faire progresser le projet
en lui-même. On dit souvent que le son est plus chaud sur la côte ouest des
États-Unis et plus froid sur la côte est, les conditions de vie, les us et
coutumes joueraient sur nos émotions et notre visions des choses. Je crois que
c’est vrai cela se ressent au final sur un mix. En France par exemple nous
aurions eu un mix plus précis, nous aurions entendu distinctement tous les
instruments mais cet avantage aurait eu l’inconvénient de ne pas pouvoir donner
de la personnalité et une couleur au projet, il n’y aurait pas eu de parti
pris, ce que Joe Barresi a fait pour nous, il a mis sa couleur sa patte de
manière très instinctive en mixant en direct sur une vieille console analogique
et il ne s’est fié qu’à son ressenti sur la musique. »[8]
Notre entretien nous a également permis d’aborder le corollaire du
pendant strictement musical de l’œuvre : Sa conception visuelle. Cette
dernière porte la griffe du photographe Laurent Seroussi, connu, entre autres,
pour son travail en collaboration avec Alain Bashung ou Mathieu Chédid, et voit
Jacob Dellacqua y prêter ses traits. Au sujet de cette collaboration
essentielle à l’existence du projet, David Dupuy révèle :
« Nous avons rencontré Laurent Seroussi
par hasard il y a quelques années. Il cherchait un bar en ville et ils étaient
tous fermés, il s’est retrouvé par hasard avec un ami au bar de la salle ou nous
jouions pour un tremplin, on leur a dit entrer voir les groupes c’est gratuit,
et si je reprends ses termes, il a poussé la porte et nous commencions à jouer
la première note, il a vu tout notre set et a été surpris car à l’époque nous
avions un chant batterie qui était lead. Il est venu nous voir à la fin en nous
disant j’aime beaucoup ce que vous faîtes et j’aimerais réaliser une pochette
pour vous un jour si ça vous dit. Nous ne savions pas qui il était et après
quelques échanges de mails notamment le premier ou nous lui avions demandé si
il avait déjà des travaux personnels à nous montrer, nous nous sommes vite
rendu compte de qui il était et que nous avions eu la chance de le rencontrer
par hasard, je me souviens avoir ouvert la boîte mail et être tombé sur la
pochette de Fantaisie militaire de Bashung ainsi que des pochettes de M mais
aussi ses travaux plus personnels. Pour le travail des visuels sur ce projet
Laurent a une vision très artistique et personnelle de notre musique et notre
musique s’intègre très naturellement dans ses propres créations, il n’y a pas
besoin de réfléchir à un concept, les réflexions qu’il propose dans ses œuvre,
les métaphores que l’on peut y voir sont aussi dans la musique de fragile,
c’est ce que l’on appelle une bonne rencontre. »[9]
Smile(s) :
Ambivalence musicale
Smile(s) renferme une
production globalement irréprochable. Est perceptible sur l’ensemble du disque
une très forte influence anglo-saxonne et américaine en particulier, le travail
de Joe Barresi mettant parfaitement en valeur la prédominance mélodique de la
musique du groupe Fragile. Aucun instrument ne se voit négligé et l’impression
globale d’équilibre ressentie à l’écoute du disque témoigne au mieux d’un
travail de production au sein duquel finesse et justesse ont su se conjugués. Un
travail propre et net qui ne pâtit nullement de la présence de deux langues
différentes, le français et l’anglais se côtoyant ici. Sur ce point, David
Dupuy a confié que cela révélait les influences diverses et plus ou moins lointaines qui sont celles des membres du groupe. Il
déclare ainsi :
« C’est
révélateur de nos influences qui s’étendent très loin mais aussi du hasard, le
hasard des compostions lorsque l’on est en improvisation sur son piano ou sa
guitare, les mots viennent suivant les mélodies et la musicalité, plus c’est
mélodique plus cela nous pousse vers l’anglais naturellement. […] De plus vous remarquerez que le chant Anglais
n’est pas travaillé pour ressembler à un Anglophone mais bien assumé avec un
accent français pour garder la cohérence des deux langues dans la couleur du
disque. »[10]
Smile(s) ouvre les hostilités, mais avec douceur, pourvut qu’est ce titre
éponyme d’une introduction où la voix se voit secondée par le seul piano sur un
tempo lent, ce qui d’emblée confère au morceau un ton tout aussi mélodique que
mélancolique. Des gimmicks de batterie et de guitare viennent toutefois
s’ajouter aux notes de piano, imprimant du même coup plus de vivacité au rythme général sur lequel se déroule le
morceau tout en mettant joliment en relief le refrain. Un premier titre qui
donne à découvrir un travail mélodique simple et accrocheur. Notons que ce
titre se verra accompagner d’un clip dont la sortie devrait avoir lieu le 9
juin 2014.
Either You Or Me démarre par une introduction guitare/voix
appuyée discrètement et plutôt joliment par des cordes jusqu’à la première
moitié du titre environ, avant que la six cordes électrique ne vienne parer
l’ensemble de plus de puissance, notamment à l’entame du premier refrain. Le
titre ce teinte ainsi instantanément d’une couleur et d’un son plus Rock, ce
que vient confirmer un gimmick de batterie bien présent mais nullement
écrasant. On appréciera également les incrustations de synthétiseur sur la coda
instrumentale du titre.
Au sujet de ce titre, David confiera avoir rêvé, il s’agirait d’un
songe :
« Un
morceau comme « Either you or me », c’est un rêve que j’ai fait une
nuit et que j’ai écrit très tôt le matin. À 9 heures, je crois. Généralement,
je compose plus tard. Mais là, je me suis mis au piano dès mon réveil. Et là,
j’ai juste rêvé de cette histoire. Beaucoup d’images sont venues dans ma
tête et ça a donné le morceau le lendemain matin. »[11]
Juste Un Instant est un morceau gorgé d’influences et
d’effluves Pop. Premier de trois titres écrits et chantés dans la langue de Molière,
son texte se révèle simple et accrocheur, les mots épousant parfaitement la
ligne mélodique du titre. L’assise mélodique est joliment assurée par de très
fines incrustations de guitare et de clavier. La batterie, bien que discrète,
se chargeant d’assurer une assise rythmique de même teneur.
Le titre Je reste œuvre lui
aussi dans la douceur mélodique. L’entame du titre se fait sur une introduction
en piano/voix, au sein de laquelle la douceur des notes du piano contraste
d’emblée avec l’énergie vocale au ton plaintif, le tout se déroulant sur un
rythme lent, où le silence, même furtivement, trouve place, avant qu’une nappe
de synthétiseur et le piano ne crées une jolie atmosphère pour conclure ce
titre efficace.
L’Extended Play se clôt sur le rythme rapide et les riffs de guitare
saturés et très Rock du morceau Tuer Le
Temps. Le gimmick de batterie est lui aussi très présent et puissant dès
l’entame de ce titre dont le rythme ne retombe pas. Un titre résolument Rock,
bref et efficace, auquel le live, et
l’énergie qui l’accompagne, saura donner plus d’envergure encore.
Enfin notons que sera disponible à la rentrée un sixième titre nommé Je cours. De la place est d’ailleurs
prévue pour ce dernier sur le Long Box.
« Fragile est une réponse à l’insensibilité
du monde qui nous entoure,
Tous
les jours, il est l’acceptation de choses que l’on se refuse de voir ou
d’entendre
Et par
ce fait permet de passer des étapes supérieures.
Je le
vois plus comme un combat vers une certaine « liberté ».
David Dupuy
*****
Avec Smile(s) les bordelais de Fragile se signalent en nous proposant
de découvrir un univers tant musical que visuel. « Clair-obscur
photographique » se mêlant à une musique Pop-Rock mélodique aux
incrustations de Chanson et de Poésie, ou inversement. Là se trouve une sorte
d’ambivalence musicale assumée, le coté mélodique et mélancolique de la Pop
trouvant son contrepoint parfait dans
une veine se voulant plus Rock et rageuse, sans toutefois céder au déséquilibre.
Ce premier effort discographique qui, souhaitons-le vivement, est prélude à un
premier LP à venir, est paré des atouts de la séduction qui siéront à tout
amateur de Pop/Rock et de Chanson. Ce disque bénéficie également d’un travail
de production très bien réalisé et se voit accompagné à propos par le travail
de Laurent Séroussi qui apporte incontestablement sa pierre à l’édifice plutôt
prometteur et solide que semble être
Fragile.
Liste des titres :
1.
Smile(s)
2.
Either
You Or Me
3.
Juste Un
Instant
4.
Je Reste
5.
Tuer Le
Temps
6.
Je Cours
(à paraitre)
Fragile, Smile(s), Handle
With Care, 2014.
Xavier Fluet
Publié le : 09/06/2014 par La Gazette De Paris.
[1] Fragile- Smile(s), Communiqué de presse.
[2] « Quelques mots avec Fragile »,
Uni-Son, 22/05/2014. Lien : http://unis-son.com/2014/05/22/quelques-mots-avec-fragile/
[3] Luc Dehon, « Interview de Fragile», Idolesmag, 02/06/2014. Lien :
http://www.idolesmag.com/interview-510-Fragile.html/
[4] Ibid.
[5] « Interview de Fragile», Radio Bouton, 05/2014. Lien : http://radio-bouton.org/2014/05/fragile-linterview/
[6]Xavier Fluet, «
Fragile : Fragile ? Un combat vers une certaine
liberté ! », La Gazette De
Paris, 02/06/2014. Lien : http://gazetteparis.fr/2014/06/02/musique-fragile-un-combat-vers-une-certaine-liberte/
[7] Cf. Note 1.
[8] Cf. Note 6.
[9] Ibid.
[11] Cf. Note 3.
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