Flashback
Ribo, groupe originaire
d’Amiens en Picardie, se fait remarquer par la critique en 2000 suite à la
parution d’un maxi 6 titres, La Soif. De ce premier effort discographique, la
critique retiendra avant tout la volonté du groupe d’inscrire sa musique dans
ce que la chanson française a de plus traditionnel notamment grâce aux textes
et à la voix du chanteur qui se dégagent de l’ensemble. L’instrumentation se
verra elle qualifiée de « néo-réaliste » grâce notamment à la
présence d’une section de cuivre et celle d’instruments comme l’accordéon ou
l’harmonica. C’est deux ans plus tard que Ribo nous livrera son premier
album : Les Amours Bizarres De Marius Venin. Sur ce disque sera mise en
valeur une atmosphère cette fois plus intimiste que celle régnant sur La Soif,
et tintée de couleurs jazz et rock. Les chansons, souvent empreintes de mélancolie,
dessinent un univers déjà qualifié de déjanté et dans lequel l’humour, souvent
noir, tient une bonne place. L’humour noir, une constante sur les disques du
groupe et dans leurs textes, l’une des facettes de leur originalité. En 2005,
les picards nous reviennent avec un second album au titre des plus poétiques
qui soit : Fatras Pour Chats Giflés. Les fatrasies de Ribo ne déparent pas
les amours du sieur Venin, elles s’inscrivent à leur suite. Sur cet album, Ribo
propose une nouvelle fois une musique sombre et enlevée, aux orchestrations
plus minimalistes, mettant en valeur des textes insolents toujours habillés
d’humour acide, de drôlerie aussi. L’album est une plongée dans un univers
aussi décalé et surréaliste que celui du précédent opus.
Un changement s’amorce
toutefois en 2007, année ou Ribo sort l’album-concept Sally-Jean Mahler N’est
Plus Ici. Il s’agit de la bande son d’un road-movie n’existant pas, collection
de treize road-songs au cours desquelles Ribo met en exergue une de ses
influences majeures: Le cinéma et plus précisément le film noir américain. Le
scénario donne à suivre le parcours de Sally-Jean Malher, une demoiselle qui
fuit dans une Jaguar volée, en compagnie de Marius Venin, en direction du
Nouveau Mexique, via New York et Los Angeles, où le périple s’achèvera par un Unhappy End dans le désert. Si le film
n’existe pas, le disque nous livre quantité d’images tant celui-ci en regorge.
Des images de cinéma, bien sûr, qui défilent à toute vitesse à
l’écoute de la galette. Cette impression s’en voit renforcée par une musique
d’un ton résolument plus rock que sur les précédents albums, appuyée en cela
par les guitares électriques bien présentes sur ce disque au rythme enlevé et
aux titres plutôt brefs. Les références littéraires et cinématographiques qui
parcourent l’album sont multiples et ajoutent à la qualité des textes. Citons
entre autres et à titre
d’exemples : Marilyn Monroe, Jim Thompson, Stanley Kubrick, Charles Bukowski
ou encore Jim Morrison… L’ambiance demeure sombre et tourmentée et restitue
celle des films noirs. Ribo signait avec ce Sally-Jean Mahler n’est plus ici un
disque véritablement original, témoin d’une démarche et d’un travail des plus
aboutis. Nous serons ensuite invités à douter des totems avec la parution, en
mars 2011, de l’album du même nom. Cet album propose une association réussie,
celle de la chanson française et de la musique pop-rock. Si la composition du
groupe a beaucoup évolué au cours du temps et des albums, Ribo n’a en rien
perdu son identité ou son originalité. Douter Des Totems renferme des titres
aux textes toujours particulièrement travaillés, souvent en trompe l’œil, et
dont le sens premier peut parfois se dérober à l’auditeur de passage. Ces
textes à tiroirs, faisant la part belle aux images, où le monde actuel semble observé
comme un western violent peuplé de cheyennes
épuisés et de cowboys désenchantés, confirment la prédilection du groupe
pour le traitement doux-amer et figuré, par la bande, de sujets souvent
sombres. Les références littéraires et cinématographiques demeurent présentes, comme
ici, par exemple,
dans la chanson intitulée Le Val, où
le Johnny Got His Gun de Dalton Trumbo et Le Dormeur du val de Rimbaud se confondent dans le fracas d’un
champ de bataille. Douter Des Totems, album de la remise en question, est de
qualité et, tout comme ses prédécesseurs, bien que s’en démarquant
nettement, témoigne d’un travail exigeant,
assuré, de constance et d’une certaine richesse.
« La
veloutine des jolies choses et la vodka… »
C’est en ce début décembre
2012 que Ribo sort son cinquième opus, celui qui nous occupe ici, Veloutine
& Vodka. Ce Veloutine & Vodka aurait très bien pu ne jamais voir le
jour, Mosaic Music Distribution, label sur lequel étaient parus les trois
albums précédents, ayant fait faillite. C’est donc sur le label indépendant Les
3 Marins Distrib. que sort Veloutine
& Vodka. Des changements, le groupe en a aussi connu en son sein suite au
départ du guitariste et l’intégration définitive de Fiona (déjà présente sur
Douter des totems, l’album précédent) aux claviers et en tant que seconde voix.
Sur cet opus le groupe se compose donc de : Fiona Cox au clavier et au
chant, Laurent Pilniak au chant et à la guitare, Xavier Comor à la basse,
Nicolas Jonville à la batterie, et Stéphane Séret qui signe les textes et le
visuel du disque ; l’ensemble du groupe signant paroles, musiques et
arrangements. L’enregistrement lui eut lieu en juillet au studio le sous-marin
à Amiens.
Musicalement, Veloutine
& Vodka s’inscrit dans la droite ligne de Douter Des Totems et propose une
musique aux orientations Pop/Rock et Folk soutenant la voix de Laurent Pilniak
qui demeure bien en avant sur l’album. Les riffs de guitares saturés bien
qu’étant toujours présents sur certains titres (Peeping Tom (Le voyeur bienveillant), Sada d'Osaka ou L'ascenseur
notamment) se dégagent un peu moins de l’ensemble qu’auparavant cependant qu’une
place plus large est faite aux claviers.
Si Douter Des Totems
nous donnait souvent à écouter (et à lire !) des textes à double sens et
des paroles imagées, cela ne semble pas être le cas de son successeur. En effet,
les textes de Veloutine & Vodka sont beaucoup plus directs, leur sens se
dévoilant plus immédiatement à l’écoute et à la lecture, sans pour autant que
cela soit synonyme de qualité moindre.
35
minutes, 10 titres
Plutôt pop et enjoué, Peeping Tom (Le voyeur bienveillant),
plage liminaire du disque qui pourrait faire office de prologue à ce recueil de
chansons, ne sera pas sans rappeler quelques souvenirs de traduction en cours
de version à quelques anglicistes par son titre trouvant son origine dans une
expression idiomatique anglaise, littéralement intraduisible en français,
désignant ce que l’on appelle dans la langue de Molière un voyeur. Peeping Tom évoquera aussi et surtout
aux cinéphiles le chef-d’œuvre britannique mis en scène par le réalisateur
Michael Powell, sorti en 1960 : Peeping
Tom (Le voyeur en français). On
songera enfin, au détour d’un couplet, au Fenêtre
Sur Cour d’Alfred Hitchcock…
Ribo continue donc de nourrir ses textes de références cinématographiques,
incontestablement l’une de leurs marques et une constante au regard de leur
œuvre globale. « J’colle mes yeux
aux judas / Mes rétines aux serrures… »
La gueule de l'emploi,
où domine la gravité discrète du piano, s’impose
par son évocation sans détour de la dépression et du chômage comme le morceau
le plus mélancolique et touchant de l’album : « Comment lui dire que je n’ai plus / Parait-il, la gueule de
l’emploi / Et qu’ils m’ont jeté
par-dessus / Bord sans trop de tracas… » Comme souvent chez Ribo, le fait de société
est ici traité par le biais de l’intime et du portrait sensible.
S’ouvrant sur un
clavier très church et déroulé sur un
mid-tempo groovy, le titre Sada d'Osaka nous
propose une réécriture 2.0 du mythe de Pygmalion et Galatée, originellement
conté par le poète Ovide dans son poème des Métamorphoses,
et cela non sans humour puisqu’ici la poupée geisha – compagne des solitaires-
devient substitut à la statue d’ivoire : « Réaliste poupée / En silicone moulée / Délicate au
toucher… »
Ribo est un groupe
pudique. C’est en tout cas ce dont il nous assure dans le balancement tonique et
nappé de sons Rhodes du titre La pudeur,
chanson piquante qui semble renouer avec les insolences des albums les plus
anciens du groupe, notamment Fatras Pour Chats Giflés. « Minauder, tortiller du cœur / Comme le premier sagouin venu /
Comme d’autres tortillent du valseur / Je m’y refuse, c’est exclu… »
Non, les picards ne garniront pas leur
skeud de love songs dégoulinantes de niaiseries et garderont pour eux leurs
effusions. On les en remercie. « Je
le confesse parfois m’écœurent / Un peu tous ces épanchements / La p’tite
pornographie du cœur / C’est très payant, mais désolant… »
Section rythmique ardente,
riffs saturés et piano chavirant, L'ascenseur,
comme un écho à La gueule de l’emploi, dépeint avec fougue, et en filant la
métaphore, un fait social bien actuel : les dysfonctionnements de cet ascenseur social dont beaucoup aiment à
nous vanter opportunément les mérites et les vertus élévatoires, tout en
omettant de préciser qu’un ascenseur monte aussi bien qu’il descend : « J’me sens comme à fond de cale / Claustro et
chancelant / Dans cet ascenseur social / Dans celui qui descend… »
Puis ce sont tous ceux
qui ont fait de leur posture pseudo-rebelle leur raison d’être médiatique qui
se voient gratifiés de la chanson suivante, Rebelle
de métier. « Je surjoue l’insoumis / Pour la photographie… ». Si le
climat musical est assez tempéré, presque feutré sur les couplets, les mots eux
sont acerbes. « Ravachol de flanelle
/ Rimbaldien demi-sel / Aux colères calibrées / Pour le format télé… »
On comprendra aisément
que le titre Comme une liasse (confession
d’un porteur de mallettes) évoque, sur le mode ironique et en 2 minutes 40
de légèreté pop persifleuse, le nerf de la guerre et son transit à travers le
monde. Le sous-titre n’est pas sans rappeler, entre autres, une affaire faisant
encore aujourd’hui couler beaucoup d’encre et vendre pas mal de papier : « Des scrupules, j’en ai pas / Yen ou
dollar, l’argent n’a / Que l’odeur du doigt… / Palpez- moi, palpez-moi… »
« Dans
le miroir, c’est la métamorphose / Dans le miroir, IL crée, ELLE se
compose… » Lula/Jack (court métrage) a pour sujet le
travestissement et la confusion des genres ; thèmes du double et de la
dualité qui justifient que la chanson soit interprétée en duo mixte. Un titre aux
accents jazzy un peu plus léger que les précédents, duquel l’humour n’est pas
absent, astucieusement composé comme le découpage technique d’un
synopsis : « Travelling,
close-up / Visage au teint laiteux / Lipstick, make-up / Khôl pour l’ovale des
yeux… »
L'écho
lointain des orages (impression soleil brûlant), second
duo mixte et « vraie-fausse » ballade de l’album, apporte une note de
douceur, voire de joliesse impressionniste à l’ensemble, mais peut-être
vaudrait-il mieux ne pas accorder à cette chanson une écoute trop hâtive, tant
semble parfois percer sous la veloutine
du refrain et le calme apparent des couplets une certaine tension : « Un vent fébrile rejette / Le sang
séché des bêtes / Un parfum de carnage / L’écho lointain des
orages… »
«
Je n’ai rien d’autre à perdre que mon sang froid / Juste mon sang froid… » C’est par les teintes sombres et le climat
presque oppressant du titre Quelque chose
doit craquer, dont la construction et la durée (5 minutes) tranchent avec la concision des
chansons précédentes, que s’achève sur un climax cet opus. Petit précis
d’asphyxie, de frustration et de rage rentrée, lamento ombrageux d’un homme
ordinaire à bout, le morceau progresse crescendo vers un final au lyrisme
assumé où la voix lead, proche du point de rupture, peu à peu s’enfonce dans
des chœurs éthérés. « Les
lendemains ne chantent plus / Que des chansons amères / Des couplets coupants,
pointus / Ardents comme des revolvers… ». Quelque chose va
craquer, nous sommes prévenus !
*****
Le titre de l’album est
tiré d’une citation de P.M. Harper : « on sent qu’ici
rien d’un peu sacré ne pourra éclore (…) Mais au fond je m’en fous. Il me
restera toujours la veloutine des jolies choses et la vodka… »
Voilà quelques mots qui nous livrent un bon condensé du contenu de ce
disque ainsi que sa couleur, son atmosphère.
Quelques mots aussi sur
la pochette de l’album. Celle-ci nous donne une occasion supplémentaire de
constater les « désastres » occasionnés par la miniaturisation, tant
on ne peut malheureusement que regretter un rendu qui, sur grand format, aurait
certainement été du meilleur effet…A l’heure du tout numérique, de
l’immatériel, est-ce bien ce qui importe le plus ? Non certes…mais tout de
même. Reste ici l’objet disque bien sûr, mais pour combien de temps
encore ? Un disque dont les trente-cinq minutes ne sont pas, elles aussi,
sans rappeler une époque où le disque vinyle trouvait preneur…
« Par
quelques interstices
J’entraperçois
parfois
Les
promesses du précipice
Bordel,
qu’est-ce que je fous là ? »
Avec ce Veloutine &
Vodka, Ribo signe un cinquième opus dans
la continuité de Douter Des Totems, en prolongeant l’exploration de thèmes déjà
abordés, mais ici tout est plus direct et nerveux encore, on en perçoit
d’autant mieux l’urgence qui règne globalement sur ce disque. Veloutine &
Vodka retranscrit en cela une ambiance plus qu’actuelle. Au milieu de cela un
trait d’humour frondeur demeure. Ce cinquième album est l’œuvre d’un groupe
ayant singulièrement évolué depuis ses premiers pas discographiques, mais qui
n’a rien perdu de ses traits de caractères, de son identité et qui continue son
chemin.
Ceux connaissant la
discographie du groupe trouveront dans
Veloutine & Vodka tout ce qui fait un album de Ribo. Les autres, amateurs
de chanson, férus de cinéma, vous pouvez
jeter une oreille (voire, pourquoi pas, les deux !) sur cette galette
picarde. Vous ne devriez pas être déçu, et songez aussi que certaines musiques
gagnent à être écoutées et plus encore, à être réécoutées.
Liste des titres :
1.
Peeping Tom (Le voyeur bienveillant)
2.
La gueule de l'emploi
3.
Sada d'Osaka
4.
La pudeur
5.
L'ascenseur
6.
Rebelle de métier
7.
Comme une liasse
8.
Lula/Jack (court métrage)
9.
L'écho lointain des orages
10.
Quelque chose doit craquer
Ribo, Veloutine & Vodka, Les 3 Marins
Distrib., 2012.
Xavier Fluet / Ribo
Publié le : 21/01/2013 par La Gazette De Paris.
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