mardi 14 avril 2015

Litterature: Décés de Günter Grass

L'auteur du “Tambour” est mort ce lundi 13 avril 2015. Grand polémiste, Günter Grass n'avait jamais cessé d'être hanté par sa jeunesse d'ancien soldat nazi.
Gunther Grass en 1996.
Günter Grass disait avoir buté sur la première phrase de son livre Le Tambour : par où commencer en songeant à son enfance à Dantzig où il était né en 1927 (aujourd’hui Gdansk) en Pologne, envahie par la Wehrmacht ? Jusqu’où remonter pour mêler l’histoire imaginaire d’un personnage à une histoire réelle qui submergea des millions de femmes et d’hommes, pour conter l’évocation onirique de ce qui pouvait paraître inventée mais qui fut terriblement réelle ?

La première phrase, il l’a pourtant trouvée : « Je le concède : je suis pensionnaire d’une maison de santé, mon infirmier m’observe, me tient à l’œil, car il y a dans la porte un judas, et l’œil de mon infirmier est de ce brun qui ne saurait percer à jour celui qui a les yeux bleus comme moi ». Le Tambour est le livre, publié en 1959, qui fera connaître Günter Grass et lui confèrera une renommé internationale, relancée avec l’adaptation cinématographique réalisée vingt ans après par Volker Schlöndorff, en 1979 et qui obtint la palme d’or au festival de Cannes. Le Tambour, c’est l’histoire d’Oskar Matzerath, une autobiographie d’un homme enfermé dans un asile d’aliénés en 1952, capable, enfant, d’un cri perçant qui pulvérisait le verre.

Un roman qui contient déjà tout ce que Günter Grass développera par la suite : des personnages submergés par l’histoire, notamment celle de la Seconde Guerre mondiale et un style picaresque qui embarque le lecteur dans un foisonnement tourbillonnant. Lauréat du prix Nobel de littérature en 1999, Grass n’a cessé de susciter débats et polémiques. En 2006, dans Pelures d’oignon, il révèle sa jeunesse hitlérienne, deux mots insupportables qui scandalisent ceux qui veulent tancer le sonneur de leçons, soutien du SPD (le Parti social-démocrate). Son adolescence comme membre des Jeunesses hitlériennes, sa guerre ? Elles furent courtes. Il rêvait d’être sous-marinier, il sera « fantassin transporté » derrière les chars, dans les forêts de Bohème, verra les orgues de Staline décimer ses camarades ou fera le guet sur les bords de la Baltique, là où les dunes ne sont conquises que par les lapins, là aussi où il pouvait dessiner sur son bloc de papier Pelikan. Ce fut la guerre du brave soldat Grass, gamin au casque trop grand, Waffen-SS inconscient qui n’a pas dénoncé mais n’a pas non plus posé de questions. 

Un tonnerre romanesque

« Certes, je n’étais pas un fanatique au garde-à-vous, mais je n’étais pas non plus bourrelé de doutes » écrit-il dans son Journal d’une Allemagne l’autre (Seuil, 2010). Le donneur de leçons en question était celui qui s’était montré réticent à l’idée d’une réunification, inquiet des souvenirs qu’une Allemagne « über alles » pourrait faire resurgir en Europe. L’oignon, cette plante herbacée qui contient tant de choses, est finalement comparable à l’histoire. Sur chaque pelure, écrit-il, on découvre des mots « trop longtemps évités », des « gribouillis », des « signes tarabiscotés » qu’il faut déchiffrer. Au bout de la lecture ? C’est la culpabilité qui récite sa petite maxime, « se laisse gentiment oublier quelque temps et hiberne dans les rêves ». Ou les cauchemars, qu’il faut sans cesse réinterroger, comme le fait Grass avec cet adolescent qu’il fut, auquel il s’adresse et qu’il soumet à un interrogatoire sévère. Un adolescent qui n’a pas quinze ans, rêve aux héros des grandes aventures maritimes et lit les Aventures de Simplicius Simplicissimus de Grimmelshausen. A-t-il lu aussi Tristram Shandy de Laurence Sterne ? En tout cas, il garde en mémoire cette trame littéraire qu’il développera en 1959 en plus tard en publiant ce tonnerre romanesque, Le Tambour.

Ce roman, il l’écrit à Paris, avec une bourse du Groupe 47, sorte de club littéraire où des écrivains militent pour un renouveau intellectuel dans ces années zéro. Il habite d’abord avec sa femme près du Canal Saint-Martin, pas loin du banc où Flaubert avait fait s’asseoir Bouvard et Pécuchet. Il le poursuit dans un petit appartement de l’avenue d’Italie sur sa machine Olivetti reçue en cadeau de mariage. Ce roman sonore est bien celui d’un écrivain qui parla aussi beaucoup, prit position contre le colonialisme, l’impérialisme américain (au point parfois de sous-estimer l’importance du 11 septembre 2011), contre le sionisme d’Israël. Trop parler sans doute par crainte du silence, ce silence qui pesa tant sur la légitimité de la reconstruction d’un pays anciennement nazi.

En 1990, préparant une conférence sur « Ecrire après Auschwitz », et qu’il tiendra en février à Francfort, « dans l’amphi d’Adorno », il dit dans son Journal s’être « dépouillé de beaucoup de [ses] propriétés allemandes – à part la langue ». Il lui semble « qu’Auschwitz est une ultime possibilité de [se] référer à l’Allemagne », donc de se référer à lui-même, acteur inconscient d’un régime coupable de génocide, horreur qu’il n’apprit, dit-il que par la suite.

Günter Grass, voix allemande par excellence, est décédé ce lundi 13 avril à Lübeck, au bord de la Baltique dont il avait gardé les rives dans sa jeunesse de guerre. Une jeunesse qui le poursuivit toute sa vie et qui, sans doute, le conduisit à écrire pour que d’autres puissent songer à eux-mêmes, enfants, sans crainte d’y voir de sombres reflets.

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